Question d’animaux de production – Un rôle pour les techniciens en santé animale en pratique des animaux destinés à la production d’aliments

26 févr., 2024

Robert Tremblay

Introduction

En juin 2022, l’Association canadienne des médecins vétérinaires a organisé un colloque sur la main-d’œuvre vétérinaire. L’une des priorités mises en évidence lors de ce colloque est la constitution et la gestion d’équipes vétérinaires efficaces, notamment en tirant profit de l’ensemble des connaissances et des compétences des techniciens en santé animale certifiés (TSA) (1).

Peu d’études ont été publiées sur l’utilisation et l’impact des TSA en pratique des animaux destinés à la production d’aliments au Canada. Un sondage réalisé en Ontario, dont les répondants travaillaient principalement dans le domaine des petits animaux, a révélé que le revenu brut augmentait de près de 80 000 dollars canadiens pour chaque TSA supplémentaire par vétérinaire dans la pratique (2). Une étude menée aux États-Unis indique également que les revenus et la productivité sont plus élevés dans les pratiques qui emploient des TSA et d’autres membres du personnel sans formation médicale. Lors de cette étude, les chercheurs ont déterminé que l’utilisation des TSA et du personnel non médical dans les cliniques pour petits animaux et les pratiques mixtes (définies comme des pratiques dont au moins 25 % des patients étaient des bovins ou des chevaux) faisait augmenter les revenus de 17 % et la productivité des vétérinaires de 14 % (3). Dans un sondage antérieur réalisé aux États-Unis, l’utilisation des TSA a aussi été associée à une augmentation des revenus, mais le type de pratique n’a pas été précisé (4).

Dans le présent article, Irene Moore explique le processus de formation des TSA et les compétences requises dans le domaine de la pratique des animaux destinés à la production d’aliments. Kristen Edwards décrit comment Tavistock Veterinarians, en Ontario, fait appel aux TSA non seulement pour effectuer des tâches cliniques, mais aussi pour mettre en œuvre des programmes complets dans les fermes laitières de ses clients. Jessica Law et Teryn Girard présentent la façon dont leur pratique met à profit les TSA pour étendre les services offerts à leurs clients de l’industrie porcine et de l’industrie aviaire en Alberta.

Tirer parti des TSA dans les pratiques pour grands animaux : comment les TSA peuvent-ils participer?
Irene Moore, D.M.V., M. Sc., B. Sc. (agr.), Ridgetown Campus, Université de Guelph, Ontario

Il y a actuellement une pénurie mondiale de professionnels vétérinaires. Il manque de vétérinaires en pratique des grands animaux, notamment dans les zones rurales et éloignées de nombreuses régions du Canada. Bien que l’on accorde de plus en plus d’attention à la façon dont les TSA peuvent alléger la charge de travail des vétérinaires dans les cliniques pour animaux de compagnie, peu de publications ont été consacrées à l’utilisation des TSA dans les pratiques pour grands animaux. En tant que vétérinaire impliqué dans l’enseignement des techniques de santé animale depuis des décennies, j’estime que les TSA représentent un important réservoir de talent inexploité et qu’ils peuvent aider à fournir des services vétérinaires dans le domaine des grands animaux. Beaucoup de praticiens ne sont pas conscients de l’étendue et de la profondeur des connaissances que possèdent les TSA.

Qu’est-ce qu’un TSA certifié?
Les TSA certifiés sont diplômés d’un programme agréé de techniques de santé animale ou de technologie vétérinaire. Ils doivent également avoir réussi l’examen national des techniciens en santé animale, auquel les diplômés de toute l’Amérique du Nord se soumettent pour évaluer leurs connaissances de base. Ils doivent conserver leur agrément en suivant une formation continue obligatoire. Certaines provinces imposent des exigences supplémentaires pour l’obtention ou le maintien des titres de compétence, comme la réussite d’un cours de déontologie ou la vérification des antécédents criminels.

Au Canada, il y a 18 programmes agréés par l’ACMV. Un programme (à l’université Thompson Rivers, en Colombie-Britannique) propose une formation entièrement en ligne, tandis que deux programmes (au campus Ridgetown de l’Université de Guelph, en Ontario, et à l’Olds College, en Alberta) proposent des options de programmes alternatifs ou mixtes. Pour obtenir l’agrément, les programmes doivent démontrer et documenter que les étudiants acquièrent un certain nombre de compétences essentielles et cliniques en plus des connaissances théoriques. Si de nombreuses compétences sont transférables entre la pratique des animaux de compagnie et celle des grands animaux, certaines compétences spécifiques sont requises pour les chevaux et les ruminants. Pour les chevaux, ces compétences comprennent la contention et la manipulation, la ponction veineuse jugulaire, la pose de bandages sur la queue et les pattes, et diverses injections parentérales. Les compétences optionnelles comprennent le passage d’une sonde nasogastrique et la préparation des juments pour les examens vaginaux et les prélèvements sur le col de l’utérus aux fins de culture. Les compétences relatives aux ruminants comprennent la contention et la manipulation, diverses techniques d’injection, y compris les injections intradermiques et les infusions intramammaires, l’administration de médicaments à l’aide d’un lance-capsule, et l’utilisation d’une cage de contention. Dans certains programmes, les étudiants s’exercent également à utiliser un ouvre-gueule et une sonde gastrique. En plus d’acquérir ces compétences, les étudiants apprennent des techniques employées pour toutes les espèces, notamment en matière d’analyses sanguines, de microbiologie, de parasitologie, d’anesthésie et d’asepsie. Ils se familiarisent aussi avec les procédures de nécropsie, qui consistent à recueillir des échantillons et à les envoyer aux fins d’examen.

Qu’est-ce qu’ils ne peuvent pas faire?
Même si la réglementation concernant les TSA diffère d’une province à l’autre, les tâches que les vétérinaires ne sont pas autorisés à déléguer à une personne qui n’est pas vétérinaire restent sensiblement les mêmes. Il s’agit notamment du diagnostic des affections, de l’établissement d’un pronostic, de la prescription de médicaments et de la réalisation d’interventions chirurgicales majeures. Cela signifie que de nombreuses tâches peuvent être déléguées aux TSA. Les vétérinaires ne savent peut-être pas ce qu’ils peuvent déléguer ou hésitent à le faire parce qu’ils craignent d’être responsables en cas de problèmes. Néanmoins, les vétérinaires qui permettent aux TSA d’élargir leur champ de pratique sont en mesure d’aider davantage de clients et d’accomplir leurs propres tâches plus efficacement, ce qui se traduit par un meilleur équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle pour tout le monde.

Donc que pourraient-ils faire?
De nombreuses pratiques ont déjà recours aux TSA pour accomplir des tâches administratives. Certains vétérinaires se font accompagner par des TSA lors des visites de santé du troupeau pour donner les vaccins, prendre les TPR et procéder à l’écornage. Dans les pratiques équines, les TSA sont en mesure d’aider durant les examens de boiterie, les râpages de dents, l’évaluation de la semence, la prise de radiographies, etc. Pour toutes les espèces, ils peuvent administrer l’anesthésie locale, préparer les sites chirurgicaux et participer aux interventions chirurgicales. Avec l’essor de la visioconférence, les TSA pourraient faire encore plus de choses. Par exemple, un TSA pourrait être envoyé pour effectuer un examen post-mortem sur un animal et envoyer des photos ou une vidéo de ses observations macroscopiques au vétérinaire. Ce dernier pourrait alors déterminer si un diagnostic peut être établi ou dire quels échantillons devraient être prélevés pour une analyse plus poussée. Un TSA pourrait également être envoyé pour évaluer des cas médicaux – il effectuerait un examen physique et communiquerait ses conclusions au vétérinaire. Il pourrait administrer des traitements à la ferme, ou encore prélever du sang ou de l’urine ou encore des échantillons pour la cytologie. Les TSA pourraient faire des visites de suivi à la ferme pour s’assurer que les animaux évoluent comme prévu. Enfin, ils pourraient également jouer des rôles actifs en matière d’éducation des clients, de bien-être des animaux et de santé publique.

Prochaines étapes
Étant donné que la grande majorité des TSA travaillent dans le domaine des animaux de compagnie, la plupart des établissements d’enseignement axent leur formation sur les compétences applicables aux petits et aux grands animaux. Toutefois, s’il y avait davantage de débouchés pour les diplômés dans les pratiques pour chevaux et grands animaux, la formation pour ces secteurs serait sans doute plus poussée dans certains programmes. Le campus Ridgetown de l’Université de Guelph, par exemple, envisage d’offrir la possibilité de faire une spécialisation en pratique des animaux destinés à la production d’aliments et en pratique équine après l’obtention du diplôme. Les vétérinaires qui souhaitent obtenir l’aide des TSA dans leur pratique devraient discuter des lacunes potentielles en matière de connaissances ou de compétences propres aux grands animaux, afin de déterminer la meilleure façon de les combler. L’utilisation des TSA présente d’autres avantages pour les pratiques vétérinaires. En offrant aux TSA la possibilité de jouer un rôle élargi, les employeurs sont plus susceptibles d’attirer et de retenir les candidats. En leur confiant des tâches qui seraient autrement accomplies par le vétérinaire, ils peuvent également leur offrir une meilleure rémunération. Au final, l’augmentation du nombre de professionnels vétérinaires disponibles pour fournir des services sera avantageuse pour les producteurs et pour la santé de leurs animaux.

Travailler avec des TSA en production laitière
Kristen Edwards, B. Sc., D.M.V., Tavistock Veterinarians, Tavistock, Ontario
Le secteur de la médecine vétérinaire bovine connaît une pénurie de vétérinaires, ce qui crée un besoin pressant de réévaluer la manière dont les services sont fournis aux producteurs. Traditionnellement, les vétérinaires fournissent à la fois des services de consultation et des services techniques. Cependant, comme la demande pour les services de consultation augmente, il devient nécessaire de déléguer les tâches techniques de manière plus efficace. Les TSA, grâce à leur formation spécialisée, ont les compétences requises pour assurer ces services techniques, et ainsi permettre aux vétérinaires de se concentrer sur la consultation et les stratégies globales de régie de la santé des troupeaux. Cette approche permet non seulement de réduire l’impact de la pénurie de vétérinaires, mais aussi de garantir que les producteurs bénéficient d’un soutien utile et plus ciblé. En travaillant stratégiquement avec des TSA pour différents aspects de la pratique, les vétérinaires peuvent fournir des services plus complets à leurs clients.

Vaccination, écornage et castration
Ces tâches sont sans doute parmi celles qui sont le plus souvent confiées aux TSA. En prenant en charge les interventions de routine comme la vaccination, l’écornage et la castration, les TSA « libèrent » les vétérinaires pour qu’ils se concentrent sur des cas plus complexes, tout en fournissant un service utile aux producteurs qui, autrement, n’accorderaient peut-être pas la priorité à ces interventions. Cela permet non seulement de maximiser la productivité, mais aussi de s’assurer que chaque animal reçoit les soins nécessaires en temps opportun.

Gestion des données des programmes de santé des veaux
Les TSA peuvent être d’une aide précieuse dans la collecte de données pour les programmes de santé des veaux – il faut notamment de peser les veaux, prélever du sang pour évaluer le taux sérique de protéines totales, effectuer des évaluations échographiques thoraciques de routine et réaliser des audits d’hygiène à l’aide d’un luminomètre (5). En recueillant et en saisissant ces données avec diligence, les TSA permettent aux vétérinaires d’analyser les données et de créer des rapports détaillés pour les clients, avec des recommandations concrètes pour améliorer la santé des veaux.

Programmes de suivi des vaches après le vêlage
Les TSA peuvent diriger des programmes de suivi des vaches après le vêlage, en notant une série de données concernant divers paramètres tels que la température, la fréquence cardiaque, la fréquence respiratoire, la consistance des selles, les résultats du California Mastitis Test (CMT), la motilité du rumen et les corps cétoniques dans le sang. Ces données permettent aux vétérinaires d’évaluer le programme de transition et la santé générale des vaches après le vêlage, et de recommander des modifications concernant les protocoles ou la régie si nécessaire.

Évaluation de la ventilation dans les bâtiments où sont gardés les veaux
Une ventilation optimale dans les bâtiments où sont gardés les veaux est essentielle au maintien d’une bonne santé. Les TSA peuvent recueillir des données relatives aux dimensions du bâtiment, à la vitesse de l’air et aux échanges d’air par heure afin d’évaluer l’efficacité du système de ventilation du bâtiment. Ces données peuvent ensuite être analysées par les vétérinaires pour formuler des suggestions sur les points à améliorer. Les observations des TSA peuvent être déterminantes pour cerner les changements susceptibles d’avoir un effet significatif sur le bien-être des veaux.

Saisie de données dans le logiciel DairyComp
Les TSA peuvent contribuer à optimiser les visites de santé du troupeau en saisissant les données pertinentes dans le logiciel DairyComp (6), ce qui est particulièrement utile pour les producteurs qui n’utilisent pas de programmes informatiques pour suivre les diagnostics de gestation. En établissant des listes pour ces visites, les TSA permettent aux vétérinaires de se concentrer sur des besoins et des préoccupations spécifiques, ce qui améliore la précision et l’efficacité de la visite.

Facturation des services
En fonction du service fourni, on facture aux clients soit un taux horaire de TSA (pour les interventions sur des animaux individuels, comme l’écornage), soit des frais de programme (si le service fait partie d’un programme, comme le programme de santé des veaux ou le programme de suivi des vaches après le vêlage).

Contribution des TSA en pratique porcine et aviaire
Jessica Law, D.M.V., et Teryn Girard, B. Sc., M. Sc., D.M.V., Prairie Livestock Veterinarians, Red Deer et Lethbridge, Alberta
Prairie Livestock Veterinarians (PLV) est une pratique des animaux destinés à la production d’aliments se consacrant à la médecine des porcs et de la volaille dans l’ouest du Canada. Les TSA font partie intégrante du succès de notre pratique grâce à leur soutien pour la rétention des clients et aux relations qu’ils entretiennent avec les producteurs.

Les activités professionnelles de nos TSA en clinique sont axées sur la gestion de la collecte d’échantillons, les soumissions au laboratoire et les relations avec les clients à la ferme. L’intégration de nos TSA dans nos services à la ferme par la gestion des données, les audits de production et les audits de vaccination est unique à PLV. Il est rapidement devenu évident que les TSA possédaient les compétences nécessaires pour offrir un vaste éventail de services aux producteurs – ils peuvent consacrer plus de temps à quelques-uns d’entre eux plutôt que de s’affairer à en servir un grand nombre.

Nos TSA ont de bonnes relations avec les producteurs et une excellente compréhension de la gestion de la ferme et du personnel. Cela a créé un créneau unique pour nos TSA, que les producteurs consultent au sujet de l’optimisation de la régie, de la collecte et de la soumission d’échantillons à des fins diagnostiques, de la gestion de la vaccination et des protocoles de vaccination appropriés. L’implication des TSA permet aux vétérinaires de se concentrer spécifiquement sur la santé des troupeaux. La relation quotidienne avec les producteurs inclut désormais non seulement les vétérinaires et le personnel de bureau, mais aussi les TSA. Cela nous permet d’adopter une approche d’équipe pour les soins à la ferme. Cette capacité à servir nos clients à plusieurs niveaux permet également une plus grande flexibilité dans la manière dont la pratique fournit ses services. Le rôle actif que les TSA de PLV jouent dans les fermes des clients a fait en sorte qu’ils ne sont plus perçus seulement comme des assistants des vétérinaires, mais bien comme des professionnels qui fournissent des services additionnels.

Possibilités d’accroître les qualifications et les compétences des TSA
À mesure que les rôles des TSA évoluent pour répondre aux besoins des industries du porc et de la volaille, le perfectionnement de leur formation continue devient à la fois une nécessité et une partie gratifiante de leur travail. Parallèlement à l’acquisition de nouvelles connaissances, les TSA de PLV ont pu identifier des domaines qui les passionnent et dans lesquels ils souhaitaient améliorer leurs compétences. Une de nos TSA a créé un nouveau service axé sur la régie et le bien-être des petits troupeaux. Une autre a étendu ses compétences à la gestion des couvoirs et des fermes d’élevage, et plus particulièrement au bien-être des oiseaux, à la ventilation et à la biosécurité. Le fait d’offrir et de permettre aux TSA de diversifier leurs expériences et leurs compétences a augmenté leur satisfaction au travail d’une part, et notre capacité à retenir le personnel d’autre part. Cet aspect a été fondamental pour le succès et la croissance de notre pratique.

Facturation des services
De la même manière que nous facturons les services vétérinaires, PLV facture soit un tarif horaire de TSA pour des services spécifiques, soit des honoraires de TSA déterminés par contrat dans le cadre de services complets pour les soins et le bien-être des animaux. Un moyen de déterminer les tarifs appropriés pour les services des TSA est d’utiliser les tarifs des services vétérinaires comme référence. Selon le service fourni, les honoraires des TSA peuvent être jugés équivalents à ceux d’un vétérinaire, ou moindres. Le tarif horaire dépendra des frais généraux, des besoins de la pratique et de la demande, et sera donc propre à chaque pratique.

Le rôle des TSA continuera d’évoluer chez PLV pour répondre aux besoins de nos clients. L’objectif de l’équipe vétérinaire de PLV est de continuer à faire fructifier la passion et les compétences des TSA pour leur permettre de continuer à contribuer à l’évolution des industries dont ils font partie intégrante.

Conclusion
L’impact de la participation active des TSA au sein de l’équipe vétérinaire n’a pas fait l’objet de recherches approfondies dans le domaine de la pratique des animaux destinés à la production d’aliments. Une analyse des gratifications intrinsèques et extrinsèques valorisées par les TSA (reposant principalement sur des données issues de la pratique des animaux de compagnie) a révélé que plusieurs gratifications intrinsèques étaient perçues au sein de la profession de TSA, notamment la capacité d’influer sur le bien-être des patients, les relations établies avec les propriétaires d’animaux et les collègues, la variété des défis à relever, la résolution de problèmes, la possibilité de perfectionner ses compétences médicales, chirurgicales et technologiques, la contribution en tant que membre à part entière d’une équipe de soins de santé, et le sentiment que les clients respectent leurs conseils professionnels (7). Il est probable que les TSA en pratique des animaux destinés à la production d’aliments apprécieraient des récompenses intrinsèques similaires en faisant partie intégrante d’une équipe de soins vétérinaires.